Drame en un acte... L'avion tragique
La scène se passe à bord d’un avion de la Sabena. L’avion
est au complet ; les passagers attendent paisiblement le décollage, qui
feuilletant un magazine, qui sirotant un verre de bon vin. On voit, à
travers un hublot, d’ autres avions de la Sabena bien alignés sous le
soleil d’été ; les avions de la Sabena, au contraire des avions français
ou américains, sont très propres et ne tombent jamais. |
UN PASSAGER
Mademoiselle !
L’HÔTESSE DE L’AIR
Bonjour, Monsieur ; comment puis-je vous être utile ?
LE PASSAGER
(Désignant l’arrière de l’avion)
Qu’est-ce que c’est que ce remue-ménage, tout-à-coup ?
L’HÔTESSE DE L’AIR
(plissant les yeux pour mieux voir)
Je crois qu’on étouffe une négresse sans papiers.
LE PASSAGER
Comment ? C’est incroyable !
(à son épouse)
Tu entends ca, chérie ? On est en train d’étouffer quelqu’un.
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
(Les pomettes rosissantes d’effroi)
Fais quelque chose, Biquet !
L’HÔTESSE DE L’AIR
(Qui se fait rassurante)
C’est la Gendarmerie qui s’en occupe, messieurs-dames. Je suis autorisée à
vous assurer que ce ne sera pas long. Puis-je vous offrir une revue ?
LE PASSAGER
(Rasséréné)
Eh bien… Avez-vous Le Soir, une fois ?
(En aparté)
Tu vois, chérie, ce sont les Gendarmes; il n’y avait pas lieu de s’ inquiéter.
L’HÔTESSE DE L’AIR
(Tendant l’un des nombreux exemplaires du quotidien Le Soir qu’elle tient
sous le bras)
Voici !
LE PASSAGER
Merci beaucoup, Mademoiselle.
L’HÔTESSE DE L’AIR
De rien, Monsieur.
(Elle s’éloigne)
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
Elle est bien gentille, cette tite hôtesse.
LE PASSAGER
(Hochant la tete, le sourcil plissé)
Ces sans-papiers, tu avoueras tout-de-même que ça commence à bien faire !
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
Madame De Zeeuw dit que c’est un coup des Français; quand ils en ont assez
de leurs nègres, ils nous les refilent.
LE PASSAGER
(Machinalement; il déplie son journal.)
Mmmh.
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
(Après un temps de réflexion)
C’est un dur travail que d’être Gendarme, tout de même.
LE PASSAGER
(Repliant son journal)
Dur ou pas, je trouve qu’ils pourraient faire ces choses-là ailleurs. Il y
a des enfants, ici !
L’ENFANT
(Très excité)
Maman ! Papa ! Je veux voir les Gendarmes tuer la négresse!
LE PASSAGER
Ca suffit, Damien ! Tiens-toi tranquille !
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
(voilant les yeux de son fils, qui se tortille dans tous les sens)
Ne regarde pas, Damien ; c’est sale.
LE PASSAGER
(dissimulant à grand’peine son irritation)
Et puis à quelle heure va-t-on arriver a Knokke-le Zoute, avec tout ça !
(Le passager et sa femme tendent maintenant leurs cous pour mieux voir ; bientôt
l’un des Gendarmes, le visage cramoisi par l’effort, se relève en haletant.)
LE GENDARME
(S’epongeant le front)
Ben, ch’crois qu’ca y est, alleï !
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
(Tapotant le genou de son époux)
Regarde, Biquet ! C’est fini ; on va pouvoir partir.
LE PASSAGER
(Hélant l’hôtesse)
Mademoiselle, s’il vous plaît !
L’HÔTESSE DE L’AIR
Oui ?
LE PASSAGER
Tout ceci va-t-il nous mettre en retard, à la fin ?
L’HÔTESSE DE L’AIR
Pas du tout, Monsieur ; le Commandant vient de nous informer que nous rattraperions
le temps perdu en vol.
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
Ah bon, alors comme ça ça va.
L’HÔTESSE DE L’AIR
Nos vols sont a 99.5% à l’heure, Monsieur! Il en faut plus que ça pour mettre
la Sabena en retard. Puis-je vous offrir un exemplaire du Soir ?
LE PASSAGER
Merci beaucoup Mademoiselle, mais j’en ai déjà un.
L’HÔTESSE DE L’AIR
Comme vous voudrez, Monsieur.
(L’hôtesse s’éloigne ; les gendarmes remontent l’allee, emportant le corps
de la délinquante vers l’avant de l’avion.)
LE PASSAGER
Nous voilà envahis dans notre propre pays ! Ils nous arrivent de partout,
à pied, par train et par bateau… Tiens, si seulement on pouvait voter pour
le Vlaams Blok.
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
Moi, la prochaine fois je vote pour le Blok !
LE PASSAGER
(Qui lève les yeux au plafond)
Mais chérie nous ne sommes pas Flamands, tout de même !
L’ÉPOUSE DU PASSAGER
Je m’en fiche! Chez eux, au moins, les trains arrivent à l’heure !
LE PASSAGER
(marmonnant dans sa barbe)
Non mais quelle conne !
L’ENFANT
Couic la négresse !
LA FEMME DU PASSAGER
(Se penchant vers son fils)
Ca y est, ils s’en vont ; tu vois, mon chéri, tout va bien.
Les réacteurs se font entendre ; LE RIDEAU du compartiment de première classe
retombe sur le passage des gendarmes.
FIN
En cliquant ici, je certifie que je veux me ravager le cerveau en lisant d'autres articles de la décharge.
Dernières modifications : 27 Janvier 1999