Reportage fiction ...
Micho le Héros

Notre héros

Micho le Héros tient le pare-buffles de son auto-scooter."C'est du solit savez-vous ! J'aurais pu le tuer avec ça."

On a beaucoup parlé de ce héros national en la personne d'un garde forestier de la Région wallonne: un homme intègre et discret, qui ne cherche pas les éloges outre mesure et qui désire poursuivre sa mission et son métier de passionné sans tohu bohu. Micho le Héros est régulièrement entretenu par la presse de son expédition en forêt, à la traque de "l'ennemi public numéro 1", mieux connu sous le nom prédestiné de Dutroux. C'est que maintenant, quelques jours après la capture du monstre carolo, Micho le Héros commence à fatiguer de toutes ces séances photo, interviews, de la presse radio, télévision et de répéter, dans toutes les langues européennes, qu'il n'a fait que son devoir.

Je me suis rendu à la table de la petite maison ardennaise de notre gaillard avec, à l'idée, l'espoir un peu fou d'en savoir plus sur la personnalité de l'homme des bois. Ce fut passionnément et plein d'émotion que je serrai la main de ce personnage humble et réservé. Il me fit prendre place sur une très belle chaise en bois ouvragé dans la salle de séjours et j'eus l'insigne honneur de poser mon carnet de notes sur la très jolie toile cirée nappant une excellente table robuste en bois de nos forêts. L'homme se croisa dignement les mains et attendit sagement que je commence. Tout en mouillant mon index droit distraitement, je jetai un coup d'oeil circulaire dans la pièce chichement décorée, puis tournai les petites pages de mon carnet. Je fis cliqueter deux ou trois fois la gâchette de mon stylo bille et mon regard revint se poser sur Micho le Héros, toujours très calme, très digne et très patient. Je lui posai alors immédiatement la question inévitable de savoir comment il avait vécu cette aventure. Il me répondit tout à trac: "J'ai fait mon bout de nerf, il était de métier, tremblant comme un GP non chargé". Je notai immédiatement cette très belle phrase, cela va sans dire.

Je formulai alors la seconde question qui allait me permettre de réduire le champs de mon investigation à l'aspect de la personnalité de Micho le Héros que je souhaitais narrer à mes lecteurs et lui demandai comment il se qualifierait dans la vie de tous les jours? Sans l'ombre d'une hésitation, il me déclara: "Je suis mon métier, et tremblant, mon devoir non chargé, en signe de reddition, le GP avec un gendarme". Je griffonnais très rapidement sur mon carnet cette déclaration historique en me pourléchant déjà de l'article qui paraîtrait le lendemain. C'est vraiment un bon homme, me dis-je en pleine extase. Mais déjà je tournai la question suivante dans ma tête... Je voulais savoir s'il ne se départissait jamais de son calme et de son flegme apparent et, sans reprendre son souffle, il lâcha: "La reddition du GP qui tremblait par terre en signe de mon métier avec le gendarme déterminé comme lui sans sa barbe et depuis le tronc d'arbre sous les branchages de la Mégane volée depuis tout petit déjà". A la fin de cette - il faut bien l'admettre - un peu dithyrambique déclaration, cette superbe envolée lyrique chargée d'une intense émotion non feinte, je me grattai pensivement le front avec la pointe de mon stylo bille qui y laissa quelques traces encrées bleues. J'avais pris au vol chaque mot prononcé par Micho le Héros, me promettant d'en tirer la quintessence en y mettant un peu d'ordre, ce qui semblait promettre plus de travail que je ne l'avais prévu.

Mais soit! J'avais une dernière question destinée à l'homme le plus admiré de Belgique, d'Europe même, et peut-être de la planète entière (?); en effet, j'avais appris incidemment qu'au Népal, un moine bouddhiste avait lévité, un moulin à prières en mains afin que l'on capture au plus vite cet infâme individu que l'on appelait Outre-Manche "Ofhole" (traduction moqueuse) ou, en français teinté, "Dioutchoux" en prononçant le "X". Je tournai ma langue sept fois pour formuler le plus adéquatement ma question car il me tardait de savoir si, d'une manière quelconque, Micho le Héros avait ressenti les effets de cette prière à travers monts et vallées.

C'est au moment où j'ouvris la bouche pour la poser (ma question) qu'inopinément, un air de Bjork déchira le silence de la maisonnée... Tellement fort que nous crûmes devoir nous réfugier sous la superbe table, "Micho le Héros" et votre serviteur. C'était une fausse manoeuvre de la mère de notre ami qui avait, par inadvertance, allumé son poste de radio.. J'eus un instant le sentiment que la panique avait envahi l'humble bon homme. Un instant seulement, mais je me ravisai et, surtout, me gardai bien de conserver ce doute à l'esprit. Car il ne se pouvait que cet homme des bois, tellement maître de ses attitudes, puisse ainsi céder à la surprise. D'ailleurs, il esquissa un geste fugace qui me rassura: rapidement, il plaça deux doigts sous son nez et prit une inspiration profonde et bruyante, ce qui dénota immédiatement qu'il n'avait, à aucun moment, perdu de sa superbe. Je remarquai à cet instant que, dans ma surprise, mon stylo bille avait glissé sur mon carnet de notes et qu'il avait tracé une grande ligne oblique en travers de mon texte. Celui-ci était donc barré! J'avais même débordé sur l'affreuse - pardon, c'est un lapsus - la superbe toile cirée qui recouvrait la si belle table déjà décrite. La mère, une femme charmante par ailleurs et cependant, s'excusa. Elle voulait écouter les informations mais le programme musical n'était pas terminé. Micho le Héros se leva alors d'un bond, s'excusa à son tour d'écourter ainsi notre divin entretien et argua du fait que tout avait été dit. Il s'éclipsa vers une porte qui, me sembla-t-il, ressemblait à s'y méprendre à celle qui dissimule des toilettes.

Je restai un instant debout, ne sachant si je devais attendre ou si le signal du départ venait de m'être signifié. La mère de Micho le Héros mit rapidement fin à mon hésitation. "Venez", dit-elle en m'entraînant doucement mais fermement vers l'entrée. Devant mon regard interrogatif, elle ajouta: "Ne vous en faites pas, mon fils a de la lecture pour un moment..." et elle esquissa un sourire à la façon Joconde. Je me retrouvai sur le devant de la maison, saluant la porte qui se refermait déjà, mon carnet de notes à la main, les épaules basses, les idées embrouillées. Un léger malaise planait dans mon esprit: mais que signifiait la petite phrase que la mère du charmant garde forestier m'avait dite? Je m'aperçus, à mon grand désarroi, que j'avais oublié mon stylo bille sur la belle nappe. Dépité, je jetai un coup d'oeil à mes pauvres notes qui, à la réflexion, semblaient ne rien vouloir dire. Une sensation de chaleur me monta aux joues et la sueur perla sur mon front: je ne pourrais jamais écrire un papier avec "ça"! Trois fois rien. Des phrases que j'avais crues historiques, il ne restait qu'un charabia vide de sens et affublé d'une grosse balafre, comme si le destin avait décidé de tirer un trait sur cette affaire. Qu'allais-je aux autres éboueurs?


Micho le Héros sortit de son antre. Sa mère tenait à la main le stylo bille du journaliste en souriant. "Regarde", dit-elle. "C'est le cent quatre-vingt deuxième!". "Génial", lui répondit son fils. "Je vais l'apporter à mon chef pour le bureau. Ainsi, la Région wallonne sera encore plus fière de moi. Y a pas de petites économies!" Il ajouta: "Tu crois qu'il va faire un bon article?" Sa mère lui rétorqua: "Tu sais bien que Marc t'a dit qu'ils font toujours très bien sa publicité grâce à toi. Et les gendarmes aussi te l'ont dit". Le téléphone sonna. Micho le Héros décrocha, parla brièvement et raccrocha, puis annonça à sa mère: "Jean-Luc, Albert et sa femme nous attendent pour ma médaille et ma récompense. Après on fait un barbecue chez Jean-Luc". Très fière de son fils, Madame Micho le Héros se demanda quelle robe elle allait bien pouvoir mettre.


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Dernières modifications : 13 août 1998