On traîne dans la cité, on en a marre, on veut faire du rap pour fucker la société...

Entrons directement dans le vif du sujet. Pour réaliser un clip de rap, il va d'abord nous falloir... des rappeurs. Facile d'en dénicher, il suffit de se balader dans la cité (oups, pardon: la téci) pour en trouver à la pelle. Une seule compétence requise: savoir parler. Rien d'autres. Ha, si, peut-être le look. Suivant le genre de clip que vous comptez produire vous allez privilégier le groupe de rappeur "cool peace man" totalement défoncés à la doc gyneco ou au contraire les rappeurs à la tronche de méchants qui font bien peur, genre gangsta de la mort rebellé contre la société en train d'agoniser. Ce dernier type étant vivement conseillé, c'est ce que les jeunes ados blancs qui ont des parents riches (vos principaux consommateurs de rap, oubliez les désoeuvrés des ghettos) recherchent en priorité: violence, action, rebellion, clichés et fuck les cops. Pour plus de succès, importez vos rappeurs directement des USA, ils auront en bonus déja l'accent "motha fucka" utile à tout rappeur respectable qui veut cracher sa haine contre le système avec classe (puis passer sur MTV, puisque bon, il faut quand même bien vivre). Et surtout ils viendront de la source, de la patrie du rap, dans des quartiers où même la police elle vient plus tellement qu'elle a peur. Ouais, man, si j'te l'dis...

A propos de l'accent, n'oubliez pas que c'est ce qui distingue le bon rappeur du rappeur "yo man va jouer dans l'bac à sable, hé!". Toute la partie "son" de votre clip sera assurée par des paroles ridicules et absurdes, à propos des sales flics, de la violence, des copains opprimés en prison, de la vie dans le quartier qui n'intéresse personne, de la drogue, de la criminalité... Bref, des paroles de rappeurs. Attention, votre "chanteur" devra absolument être capable de débobiner une page de texte en moins de 10 secondes (pas grave si personne ne comprend, c'est peu le but), si possible en parlant très fort et avec plein de nouveaux mots très chouettes (yo yo, da rappeur is in da piece, nigga homey go for a gat ride, fixin tha fool West Side killa,...). Que ces nouveaux mots fassent vraiment pitié n'a aucune espèce d'importance et si en plus votre nouvelle recrue donne l'impression de n'avoir jamais mis les pieds à l'ecole, c'est tant mieux. Pour ce qui est de la musique (ou plutôt de "l'accompagnement sonore"), pas de grands tracas non plus, elle doit être insipide, répétitive et basée sur le travail d'autres artistes (des vrais, eux). Par exemple, vous pouvez sampler des grands hits qui ont bien marché auparavant, c'est le succès à répétition garanti. Demandez à Puff (pouffe?) Daddy, il a tout compris en piquant les accords de Police ou Led Zep.

Blablablablbla... fuck la société... kill the cops.. yo gangsta...yo ma 6T va cracker... blablablablabla...

Tu vas voir, mon fils, on va faire de toi un vrai rappeur de la mort.

Revenons maintenant sur le look du rappeur. Qu'il soit gentil ou méchant, il y a quand même quelques conventions à respecter sous peine de ne pas avoir l'air assez crédible. Par exemple, il lui faudra porter des jeans 10 fois trop larges, des casquettes Bulls et des vêtements sportfis de marque (genre le pantalon Nike, le sweat Adidas et les godasses Nike Air pour s'envoler quand tu rappes), portés à l'envers pour faire cool à donf. L'attitude générale a aussi son importance: il lui faudra être bien raciste (mort aux sales blancs... heu sauf quand je passe sur MTV hein), traiter toutes les filles comme des putes (excepté sa mère, garante des valeurs morales du quartier) et frimer le plus possible (yo man, c'est moi le terrible rappeur le plus respecté de la téci). Un passé agité ajoute une dernière petite touche qui peut faire toute la différence: ancien dealer de crack, meurtrier, membre d'un gang, enfant battu,.... ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Une fois que votre homme a tout à fait l'air d'un rappeur expérimenté il reste à lui choisir un nom, de préférence bien obscur genre: Dr Notorious Fat RDB. Dans de domaine encore une fois, ne ménagez pas l'influence du quartier et de sa culture hip hop super underground de la mort. Tout semble alors prêt pour réaliser le clip proprement dit. Voyons quels sont les accessoires indispensables pour cartonner sur MTV...

Des danseuses habillées comme des salopes. Il en faut un paquet, ça fait vendre facilement. Prévoir quand même des pauses pour éviter les crampes aux fesses. Notez que nos chers rappeurs peuvent aussi danser (pour l'inspiration regardez "the grind" sur MTV, hilarant), peu importe qu'ils aient l'air très con. Il suffit d'agiter bras et jambes dans tous les sens, tout en balancant la tête en rythme (ce qui recquiert un minimum de psychomotricité, je vous l'accorde).

Très important, la gestuelle.

Comme mentionné plus haut, il faut veiller à ce que les danseuses fassent vraiment figuration et ne servent qu'à assouvir les désirs des rappeurs qui ont trop niqués la société. Ces derniers se comporteront en machos primaires, ce qui aura pour effet de les faire passer pour des modèles devant les jeunes cons. Des mecs qui en imposent, quoi (ouais ouais ouais, pas des tapettes). Pour en finir avec la danse, le clou du spectacle est certainement la scène où vous demanderez à tous les rappeurs de donner des coups de pieds dans le vide, histoire de montrer que décidemment ils sont bien méchant et qu'attention, ils sont à craindre tellement qu'ils frappent fort dans le vide.

Dis bonjour au rappeur qui passe en limousine...

Après les femmes, le plus important ce sont les bagnoles. Là, encore 2 styles s'affrontent dans les clips de rap. Premièrement, les caisses toutes pourries avec haut-parleurs à fond et amortisseurs disproportionés et deuxièmement, les bagnoles classe que tu pourras jamais te payer, limousines, BMW, Jaguar et toutes les autres. Le choix est difficile, les deux sont porteurs de valeurs chères aux jeunes cool. Néanmoins, en ce moment, ce sont les voitures de luxe qui ont la côte. A louer pour la journée, avec la propriété qui va avec (de plus en plus de clips se tournent dans des supers baraques, genre la méga party de Dr Notorious Fat RDB avec tous ses potes et plein de nanas trop bonnes en prime pour décorer).

Les rappeurs ont beau critiquer les sales blancs riches qui galèrent pas comme eux dans la misère, ils sont tout content de se payer de belles bagnoles pour frimer comme des dingues après être passé sur Skyrock. Hypocrites? Nooooooon. Ce serait être mauvaise langue que de dire des choses pareilles....

On a beau faire du rap, il faut quand même faire croire qu'on fait de la musique. Embauchez alors quelques figurants qui feront semblant de jouer d'un instrument pendant que les rappeurs crieront. OK, ils seront payés pour ne rien foutre du tout mais la fin justife les moyens, non? Vous devez avoir l'air crédible! Et la crédibilité est à ce prix. Après les vrais-faux musiciens, continuons avec une autre prise capitale, celle qui sera censurée. Tout le monde sait bien qu'il est strictement interdit de montrer des marques ouvertement dans les clips, arrangez-vous donc pour que vos rappeurs brandissent quelques bouteilles de Jhonny Walker au beau milieu de l'action, effet flou épatant garanti. Cela ajoute une petite touche "on est des rebelles qui ne lésinent pas pour fucker MTV mais on nous censure injustement" non-négligable. Tant d'émotions ça donne soif, profitez-en pour montrer le groupe en train de boire. Après un tour en voiture de luxe par exemple, le champagne est de bon ton. Pas d'inquiétudes, tout le monde sait que les coupes seront remplies de Canada Dry mais c'est encore pour se la pêter à peu de frais. Vous commencez à saisir la philosophie du rap? Tant mieux parce qu'avec tous ces conseils, votre clip est presque fini. Encore quelques gags comme la poursuite avec les flics, la scène de danse sous la pluie (façon boys band), l'émeute pour tout casser, ... et c'est prêt à être diffusé. Si le budget le permet, réalisez tout cela dans les rues d'une grande ville rongée par la criminalité aux States (Los Angeles?) pour faire encore plus vrai.

Il fait bien semblant de jouer hein?

Par ici le brouzouf facile.

Si vous avez suivi toutes mes instructions à la lettre, vous êtes désormais le manager du nouveau groupe de rap à la mode. On ne compte plus les passages sur Skyrock, MTV et autres médias à l'intention des "teenagers" débiles. Le rap et la révolte bon marché contre la société, ça rapporte. Le fric est même la seule raison d'exister du rap, le nouveau filon à la mode pour exploiter les abrutis. On fait ce qu'on peut pour attirer les billets verts: piquer la musique des autres, chanter des trucs excitants et branchés, montrer des filles à moitié à poil sous prétexte de les faire danser, sortir des limousines pour crier sa haine contre la société de consommation,... Et comme le chantait si bien un fameux black né longtemps avant l'invasion du rap: "what a wonderful world". Qui lui donnerait tort?

En cliquant ici, je certifie que je veux me ravager le cerveau en lisant d'autres articles de la décharge.

Dernières modifications : 20 Août 1998