Comment faire beaucoup de bruit pour pas grand chose

Demain, sera-t-on vraiment tous WIN?
Le logo WIN

Pour peu que vous soyiez Wallon (le Wallon étant, comme il convient de le rappeler à nos lecteurs étrangers et ignares, un habitant du sud de la Belgique), vous ne pouvez pas ne pas avoir entendu parler du WIN. Ces derniers mois, nombreux furent en effet les reportages et publicités se félicitant de l’entrée de la Wallonie dans la société de l’information via le projet WIN en question. WIN pour Wallonie IntraNet. Un "réseau de transmission de données" couplé au bon vieil Internet. Mais qu'en est-il réellement?

ÉTAT DES LIEUX

Tout d'abord, il convient de s’interroger sur ce qu’est en fait cette fameuse société de l'information sensée changer notre vie. Cette révolution dont les médias nous bassinent à longueur de journées et de métaphores pompeuses n'est en effet finalement pas très facile à appréhender. Il paraît que l'élément clé de la révolution en question, c'est la pratique intensive d’internet et des réseaux dans tous les domaines. Elle va, selon les journalistes allumés, les gourous et les représentants marketing, bouleverser les règles établies et tout transformer. Soit. Mais il y a quand même des trucs qui me font marrer doucement. Tenez, ce site par exemple qui “espionne” en temps réel les requêtes envoyées au moteur de recherche Meta Crawler. Très instructif, il permet en quelque sorte de comprendre quelle sorte d’informations recherchent les internautes (qui, je vous le rappelle, sont censés être les pionniers de la société du futur). Hé bien c’est le fou rire assuré. On passerait des heures rien qu’à observer leurs demandes: une écrasante majorité de cul dans tous ses états, de bizarreries incompréhensibles au commun des mortels, de jeux vidéo ou de programmes abrutissants sans oublier les infos sur grands événements sportifs. Avec, quelquefois, un objectif un peu sérieux (ne soyons pas mesquin). Avouez que cela relativise quand même toutes ces prophéties futuristes qui font confiance à la technologie pour changer radicalement les choses. Bref, on aurait tort de s'extasier devant la fameuse société de l'information qui est plutôt un bon prétexte pour vendre au grand public avide de nouveaux concepts des bouquins tout à fait utopique (qui vous expliquent, entre autres, que votre micro-onde cuisinera lui-même en surfant sur le net). Bien sûr, notre monde change peu à peu. Mais sûrement pas aussi vite qu'on voudrait nous le faire croire. Autre exemple de cette folie à la mode: le projet de faire de Namur une ville "branchée". Lancé en grandes pompes, il s'avère avoir tourné à la catastrophe. Raison principale? Les habitants s'en foutent éperdument. Personne n'est prêt à payer pour pouvoir consulter les horaires de train sur son PC, admirer les vitrines des commerçants du quartier ou pour mailler le voisin. Logique. Car si Internet a bien des côtés positifs et novateurs, il est loin d'être indispensable pour le moment et de supplanter les autres technologies largement éprouvées (c'est bien beau d'écouter la radio en Real Audio alors qu'il suffirait de tourner le bouton de votre chaîne hi-fi). Oui, amis surfeurs, il faut être le premier à savoir critiquer ce que l'on aime.

 

LA WALLONIE S'EN MÊLE

Pourtant, d'autres semblent franchement optimiste. A l'instar du ministre Lebrun. Anciennement en charge de l'enseignement (dont on retiendra surtout son décret douteux) et maintenant promu au rang de “Ministre des Télécommunications de la Région Wallonne”, il a décidé qu'il était temps d'entrer de plein pied dans la société de l'information. C'est ainsi qu'est née l'idée du WIN qui doit permettre à notre région de se hisser à la pointe du progrès (au niveau mondial, ça ne rigole pas) et d'aborder comme il se doit le 21ème siècle. Y’a pas a dire, le monde entier peut bien se marrer d’une Belgique même pas foutue d’assurer la surveillance de son ennemi public number one, le bien-nommé Marc Dutroux, ça rigolera moins dans peu de temps. C’est du moins ce que le gentil Lebrun laisse entendre.

Évidemment, on n’a rien sans rien et tout cela va coûter un max au contribuable. Contribuable qui serait encore prêt à se plaindre, l’ingrat. Il faut dire qu’on ne lui a pas vraiment demandé son avis mais bon, c’est normal, il est sûrement trop con pour comprendre les enjeux du 21ème siècle. Par contre, du côté du gouvernement et des chefs d’entreprise, ça y va. Michel Lebrun le dit lui même: “Travail, loisir, éducation, aucun secteur ne pourra ignorer cette formidable mutation que nous voyons naître sous nos yeux”. Tout de suite les gros mots. Et pour convaincre le grand public, il compare ensuite la révolution en cours à la Renaissance et au développement de l’imprimerie. Quand je vous disais que ça ne plaisantait pas...

Personne ne sait encore malheureusement ce qu’on fera à l’usage de cet intranet Wallon, on sait seulement à quoi il devra ressembler. Voilà bien tout le problème finalement: on va se dôter d'un beau joujou mais un joujou qui ne sert à rien et qui n'intéressera personne. Cela dit, il reste quand même très beau. Le programme WIN sera ainsi constitué d'un réseau de transmission de données basé sur la technologie TCP/IP mais sans s'occuper de secteurs tel la téléphonie vocale ou la télédistribution (afin, dit-on, de ne pas faire double emploi avec ce qui existe déjà), ce qui réduit encore la champ d'utilisation potentielle. Car finalement, moi, pauvre petit surfeur de la vieille génération, je suis déjà WIN (en référence aux publicités: "demain, on sera tous WIN"). Mon abonnement chez un provider classique me permet de bénéficier de presque toutes les fonctionnalités qui sont fièrement mises en avant (courrier électronique, serveur web, transfert de fichiers, groupes de discussion, serveur proxy, ...) par Lebrun et ses collaborateurs.

A croire que l'objectif principal du WIN est en fait de faire vivre des consultants Internet tout en faisant la pub d'un ministre pas très populaire et en donnant confiance au bon peuple Wallon (vous verrez les gars, vous serez les meilleurs). Charmant. Ce n'est pas tout, l'opérateur officiel du WIN sera Belgacom. Comme par hasard diront les mauvaises langues dont je fais partie. Belgacom (entourés de partenaires comme IBM et BelSign) a en effet raflé le marché de justesse au nez du consortium Winstar (comprenant notamment France Télécom) histoire de prolonger un peu plus sa position de quasi-monopole. Car WIN qui en façade veut gommer les inégalités grâce à la technologie de pointe (oui, vous avez le droit de rire) semble être (encore) une histoire de gros sous. Snif. Si on veut "faire entrer tous les Wallons dans la société de l'information" c'est surtout pour les faire consommer. Le projet est d'ailleurs très très tourné vers les entreprises qui se voient offrir l'opportunité d'accroître leur clientèle. La boucle est bouclée et vous comprendrez aisément pourquoi Lebrun est essentiellement soutenu par les entreprises (et plus particulièrement les fabricants de matos informatique).

 

TECHNOPHOBE, LE CYBERPHIL?

Plutôt que de lancer un projet aussi coûteux qu'inutile, il aurait donc mieux valu promouvoir Internet de façon efficace (c'est à dire autre qu'en mettant des PC dans les placards des écoles). Car même si je l'ai un peu épinglé au début de cet article, il a aussi ses côtés utiles (voir plus bas pour ces côtés) qui méritent d'être reconnu. Mais le WIN n'y aidera malheureusement pas... ou si peu. Enfin, pas plus que l'émission CyberCafé 21 de la RTBF (donc service public). Bien que ce soit toujours mieux que les propositions d'un certains Di Rupo de taxer le trafic sur le réseau ou les écrans d'ordinateur (bonjour les autoroutes de l'information a péage...). Il faut dire que les hommes politique ont toujours boudés le réseau et quand ils s'en mêlent c'est soit ridicule (Didier Reynders et son site de propagande libérale), soit inutile (le WIN).

Que faire alors? Le Forem propose déjà des formations Internet. Bonne idée, c'est toujours ça de pris. Autant continuer dans le même genre d'initiative (pas forcément chers ni médiatiques mais qui ont le mérite d'avoir les pieds sur terre). Par exemple le sponsoring de contenu sur le réseau pour valoriser ses aspects non-mercantiles. Une adresse électronique gratuite pour tout qui en fait la demande? Pas besoin de WIN pour ça! Ou encore la mise en service de bornes d'accès tout aussi gratuites. Histoire de tester et de se familiariser tranquillement avec la chose.

 

PUBLICITÉ PLUTÔT LOUCHE

 

Le WIN a été soutenu par une vaste compagne d'affichages qui vaut le détour. Son accroche: "demain, on sera tous win". A travers cinq portraits "représentatifs" on tente de nous convaincre que le WIN est "un choix de société qui nous concerne tous". Pour plus d'infos, il y a en prime un site web : http://win.wallonie.be et un numéro vert (0800-1-1901). Les plus entreprenants, ceux qui oseront fournir leurs cordonnées, recevront même un tapis de souris. Décidément, notre ministre ne fait pas les choses à moitié. Mais revenons plutôt aux cinq portraits présentés. Ils évoquent les futur utilisateurs du WIN. Objectif: montrer tout le monde y trouve son compte, du gamin au papy. Je vous propose de les disséquer:

Thomas, 14 ans, élève de troisième.

Le jeune. L'air motivé, ballon de foot à la main et appareil dentaire fièrement exhibé. Lui, on va le former au multimédia dès l'école. Évidemment, personne n'est foutu de comprendre qu'à son âge on utilise plus Internet pour chercher des infos sur les derniers jeux à la mode, la musique techno ou Pamela Anderson plutôt que des sites éducatifs (aussi peu répandus que barbants). (Mal)heureusement, le firewall du coin devrait le dissuader de trop jouer les marioles avec le matériel du la Région Wallonne. Déçu, Thomas boudera alors les autoroutes de l'information pour retourner chez le libraire qui ne lui demande pas si c'est pour s'instruire qu'il achète OK Podium magazine. Mais on veut quand même vous faire croire que tout n'est pas perdu: notre jeune doit faire une élocution sur la Semois. Soucieux de ne pas se crever, on sous-entend qu'il se tournera vers WIN pour sa doc. Parce qu'en tant que jeune, il est trop con pour mettre les pieds dans une bibliothèque. Vous pensez bien: c'est gratuit, vieux, moins "cool" que le net et en plus toujours désert. Triste monde... On en rajoute: Monsieur Martin (le gentil prof) ne donne plus cours devant le tableau et "les cours ressemblent à une chasse à l'info". déjà que les profs rechignent à modifier le contenu de leurs cours, vous pensez s'ils vont se risquer à s'abonner au WIN... Mais ce n'est pas fini: Thomas a un pote qui habite Bastogne, loin de chez lui, "sauf par le net". Il a pas le téléphone notre jeune amis?

Valérie, 24 ans, employée communale.

La fonctionnaire. Sourire impeccable, air béat et de la paperasse plein les pattes. Elle symbolise l'administration du futur, dispo 24h/24 et 7j/7 sur le réseau. Il paraît que du coup tout sera plus rapide et plus facile. Bon. Mais vous croyez que les fonctionnaires vont devenir zélés du jour au lendemain? Dernièrement, il m'a fallu un mois pour renouveler ma carte d'identité. Ca n'y changera rien. Notre fonctionnaire, elle se limera les ongles aussi bien derrière son PC que derrière son guichet. A moins qu'on ne la vire et qu'on automatise tout. Bonjour les bugs et les arrêts cardiaques des syndicalistes. Alors certes, vous vous déplacerez moins. Mais rajouter "Win rapproche les gens. Valérie est plus disponible. A l'écoute des suggestions, elle songe à de nouveaux services.", c'est carrément du foutage de gueule. Ou de la publicité mensongère.

Jean, 47 ans, patron de menuiserie.

Le décideur. Regard beauf, cravate bien ajustée et l'indispensable PC portable. Les entreprises Wallonnes vont mal. Les faillites sont légion. On compte pourtant sur WIN pour "présenter l'entreprise, ses produits et ses services" et offrir de nouveaux débouchés, pourquoi pas à l'étranger. Souhaitons bonne chance à Jean... Surtout quand on sait les résultats minables générés par le commerce électronique. Internet n'est pas encore et ne doit pas devenir une gigantesque foire commerciale. Quand aux débouchés étrangers, au prix où y est la main-d'oeuvre, il peut toujours se brosser. La Région Wallonne renchère et promet des primes et investissements dans le secteur Multimédia. Enfin! Malheureusement, Jean se sent un peu exclu avec sa petite menuiserie. De toutes façons, qui s'intéresserait à cette entreprise familiale perdue au fin fond des Ardennes? Le marché mondial passera sans s'arrêter...

Catherine, 40 ans, médecin.

La membre du secteur médical. Coiffure moderne, élégante blouse blanche et stéthoscope entre les doigts. J'avoue, je m'incline: banque de données, imagerie médicale ou concentrations entre spécialistes, tout cela ne peut que faire progresser la médecine. Mais qui va payer la facture? Jamais les médecins, trop près de leurs sous. Pas non plus la sécu qui coupe dans les dépenses chaque année et râle qu'on prescrit trop de médicaments (alors si en plus il faut rembourser des gadgets). De plus, les médecins se disent débordés. Auront-ils dès lors le temps de chipoter sur leur PC? Il faut aller de plus en plus vite, traiter toujours plus de patients. Le coup d'oeil et l'habitude continueront donc de supplanter pendant encore un bon bout de temps les techniques virtuelles. La chaleur humaine face aux opérations robotisées.

Louis, 70 ans, père de Sophie (?!).

Le vieux. Moustache blanche, fringues ringardes et levant fièrement une photo encadrée. WIN, c'est pour garder le contact avec la famille qui l'abandonne. Lui qui a sûrement du mal à passer à l'Euro, c'est à se demander comment il a localisé le bouton "on" du PC. Quoiqu'il en soit, il en profite pour écrire à sa fille exilée à Abidjan et "pour le prix d'une communication locale", s'il-vous-plaît. Belgacom, opérateur du WIN, appréciera sûrement la nouvelle. Louis passe un peu pour un imbécile (normal me direz-vous, ça doit être un vieux juste bon à donner des sous de temps en temps) avec son "fils qui lui a tout installé", lui qui en plus se contente "d'appuyer sur une touche du clavier pour envoyer son courrier". Dans un sens heureusement quand on connaît les délires de certains vieux pour franciser Internet et le "ouaibe". De toutes façons, il faut être sacrement optimiste pour s'imaginer que tous ces retraités heureux de faire leur potager ou de se taper une belote avec les copains vont subitement s'intéresser à l'informatique. Louis qui peine déjà à lire le journal devra vite aller trouver l'opticien s'il veut coller son nez derrière un écran quinze pouces. C'est pour ça qu'ils disent que WIN va faire tourner le commerce?

Bref, ces publicités ridicules font ressortir la cruelle vérité: WIN est voué à l'échec. En dessous de chaque page il est malgré tout indiqué: WIN, c'est dynamique, pratique et économique. Dynamique? Au train où vont les choses... rien (ou presque) n'est encore prêt. Pratique? Moins qu'un accès standard à l'Internet. Économique? Les investissements sont faramineux et à charge du pauvre citoyen. Bravo.

 

EN GUISE DE CONCLUSION

L'introduction d'une brochure ventant les mérites du WIN se termine comme suit: "WIN est un formidable levier qui nous permettra de basculer du passé vers l'avenir, du XXème au XXIème siècle". Cette phrase résume à elle seule la méprise autour de l'intranet Wallon. Comme si un tel projet allait nous permettre de "passer du présent vers l'avenir"... Il est un fait établi que la Wallonie dépérit à vue d'oeil. Ce ne sont pas des initiatives utopiques comme celle-ci qui changeront les choses. Les utilisateurs réalistes d'internet mieux que quiconque le savent. Non, le réseau n'a pas fondamentalement changé la vie de ceux qui y sont connectés. Non, il ne résoudra pas nos problèmes. Non, il n'est pas la clé de l'avenir. Tout au plus contribuera-t-il à la construire. Et le WIN lui-même semble bien superflu face à Internet. Comme une tentative tant malhabile que vaine de supplanter un réseau Américain qui fait peur... Encore un de ces "travaux inutiles" dont la Belgique a le secret.

 


Enquêteur délégué: CyberPhil@cybernet.be


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Dernières modifications : 9 août 1998